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Quand on cherche ce qui a fait la célébrité de M. Royer-Collard, on trouve moins d’idées nouvelles que d’épigrammes à l’adresse de tout le monde. Sieyès était de la même famille ; il était grave, et chez un homme politique, la gravité est la moitié du succès. C’est la recette que tous les vieux médecins lèguent à leurs fils : parler peu, tâter le pouls et ne rire jamais.

Un homme qui riait souvent, et qui avait le cœur aussi puissant que l’esprit, Mirabeau, s’impatientait quelquefois des épigrammes de Sieyès. Un jour il se leva railleur et dit : « Le silence de M. Sieyès est une calamité publique ; il a le tort de ne pas marcher, en affaires, avec les hommes. » Cet éloge ironique, c’était un coup de massue qui tuait Sieyès. Pour monter à la tribune après la réputation que son silence lui avait faite, il fallait qu’il sortît des paroles d’or de sa bouche. Mirabeau l’avait senti ; mais l’histoire prit la moquerie du tribun au sérieux, et l’on continua de croire que le silence de Sieyès était une calamité publique.

Au fond qu’était Sieyès ? Il y a une manière facile de juger les grands hommes : c’est de les juger par le cœur. Sieyès entra à la Convention, votant tout et ne disant rien ; et quand on lui demanda ce qu’il y avait fait, il dit : J’ai vécu. On serait tenté de lui faire la réponse d’un ministre à un pamphlétaire qui s’excusait d’écrire des calomnies en disant : Monseigneur, il faut bien que je vive. Le ministre répondit : Je n’en vois pas la nécessité. Quand un homme comme Sieyès est membre d’une assemblée où se décide le sort de la France, l’important n’est pas qu’il vive, mais qu’il parle ;