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M. de Maistre a raison quand il dit qu’il faut à chaque société des institutions en rapport avec son état de civilisation. Si on voulait donner notre constitution aux Turcs, il est probable que cette constitution ne leur irait pas ; mais il ne paraît pas prouvé que des institutions qui conviennent à l’Angleterre et à l’Amérique ne puissent pas convenir à la France. Cependant cela arrive quelquefois, et nous le verrons dans un instant.

Après la constitution de l’an III vient celle de l’an VIII. La constitution de l’an VIII, qui n’a pas un grand éclat dans notre histoire, est cependant digne d’attention. Comme le disait madame de Staël, Sieyès avait trouvé moyen d’anéantir très-artistement les libertés publiques. C’est une très-habile confiscation des meilleures conquêtes de la révolution. Sous ce rapport, c’est un chef-d’œuvre. Quoi de plus ingénieux qu’une constitution qui fonctionne avec quatre corps électifs, sénat, conseil d’État, assemblée législative, tribunat, et où, malgré cela, il n’y a pas ombre de liberté ?

L’inventeur de ce beau système est un homme qui a joui d’une célébrité que, selon moi, il ne méritait guère. Sieyès a laissé chez ses contemporains une grande réputation de profondeur ; cette réputation, il la doit surtout à son mauvais caractère. Un sage qui gronde toujours et trouve tout mauvais, qui ne propose rien et décoche de temps à autre une épigramme contre ceux qui font quelque chose, finit toujours par se faire considérer comme un profond politique. C’est ce qui est arrivé à un écrivain que je mets bien au-dessus de Sieyès par le talent et le caractère, M. Royer-Collard.