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du privilège et de l’inégalité. Chez les nobles ou chez les paysans, dans l’intérieur d’un ordre privilégié ou d’une classe dédaignée, on trouverait sans doute quelque chose qui ressemble au suffrage universel ; mais on ne verrait nulle part l’ensemble des citoyens appelés à voter ensemble pour le choix d’une assemblée. Il faut arriver à la Révolution française pour trouver, en Europe, un vote général de la nation, quelque chose qui ressemble au suffrage universel. Vous savez, en effet, que durant la Révolution le suffrage n’est pas direct ; on le divise en deux degrés. On choisit d’ordinaire un électeur par cent habitants. Le suffrage à deux degrés maintient donc en dehors du suffrage effectif les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des citoyens actifs.

Cherchons maintenant quelle est la raison du suffrage universel. Cette raison est celle-ci : c’est que les citoyens ont part aux charges de la société, que le gouvernement est institué pour faire une égale répartition de ces charges, que chacun a le droit de défendre sa propriété, sa liberté, et qu’il ne peut mieux les défendre que par son vote ; bref, que chacun ayant part à la vie sociale, doit avoir part au gouvernement. Ce système semble raisonnable, il est spécieux ; mais quand on en arrive à l’application, on s’aperçoit que ceux qui le défendent ne sont guère moins aristocrates que les autres, car avec leur système ils mettent en dehors de la vie politique les trois quarts de la nation. Or, dès qu’on arrive à un pareil résultat, qu’il y ait les trois quarts ou les huit dixièmes de la nation éliminés du vote,