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demi d’expérience contraire. Tous les gouvernements coloniaux avaient deux assemblées ; on avait, en outre, l’exemple de l’Angleterre, et puis on sortait de la confédération, on avait vu l’impuissance d’une assemblée unique.

Chose étrange ! cette idée de deux chambres répugne à l’esprit français. Nous aimons l’unité jusqu’à la folie. Un des hommes les plus remarquables du dernier siècle, celui qui tout à la fois a eu les idées les plus neuves en économie politique, et qui au pouvoir a fait le plus de bien, Turgot, écrivant au docteur Price, son ami, se plaignait de ne trouver dans la constitution américaine que des vieilleries anglaises. La division des deux chambres était pour lui une de ces antiquités gothiques dont il fallait se débarrasser.

« Je ne suis pas content, je l’avoue, des constitutions qui ont été rédigées jusqu’à présent par les différents États américains. Dans le plus grand nombre je vois l’imitation sans objet des usages de l’Angleterre. Au lieu de ramener toutes les autorités à une seule, celle de la nation, l’on établit des corps différents : un corps de représentants, un conseil, un gouverneur, parce que l’Angleterre a une chambre des communes, une chambre haute et un roi. On s’occupe à balancer ces différents pouvoirs, comme si cet équilibre de forces, qu’on a pu croire nécessaire pour balancer l’énorme prépondérance de la royauté, pouvait être de quelque usage dans des républiques, fondées sur l’égalité de tous les citoyens, et comme si tout ce qui établit différents corps n’était pas une source de divisions. En voulant prévenir des dangers chimériques, on en fait naître de réels[1]. »

  1. Turgot, Lettre au docteur Price.