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d’octobre 1789, à une époque où il ne pouvait connaître les événements de Versailles, Washington, écrivant à Morris, lui dit : « Je désire me tromper, mais si j’ai bien compris la nation française, il y aura beaucoup de sang versé, et un despotisme plus rude que celui qu’elle se flatte d’avoir anéanti. » Voilà les paroles de Washington.

À quoi tient cette sûreté de coup d’œil ? À ce que le peuple américain avait l’expérience des gouvernements libres. Dans un gouvernement libre on aime la liberté, mais on sent aussi la nécessité d’une autorité forte qui maintienne le respect des lois et la sécurité. L’ordre est le contre-poids nécessaire de la liberté. Ce qui effrayait les Américains, c’est qu’ils ne voyaient nulle part, dans notre Révolution, cette force gardienne de la paix. La France brisait ses entraves séculaires, ce qui était légitime ; mais, pour s’assurer de la liberté, elle anéantissait le pouvoir. Liberté pour tous, autorité pour personne, cela a un nom fort triste. Cela s’appelle l’anarchie.

Voilà ce qui fait pour nous le mérite de la constitution américaine. Faite pour un peuple qui ne reconnaissait d’autre souveraineté que la sienne, la constitution a su cependant, dans l’intérêt de la liberté, faire au pouvoir une part suffisante, assurer une place à l’aristocratie naturelle du talent et du travail, et résoudre ainsi le problème que l’antiquité avait entrevu, mais pour en désespérer.