Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est une absurdité ; vous voulez une chambre unique, vous aurez la tyrannie. » Ces paroles étonnaient singulièrement. On n’était pas habitué à entendre parler avec cette vivacité un Américain, un homme qu’on avait prôné à l’avance comme un soutien futur de La Fayette. Lui-même nous raconte qu’allant à Versailles, il resta à dîner chez madame de Tessé, la tante de La Fayette, et son amie intime. C’est à elle que le général a écrit ses plus charmantes lettres.

« À dîner, dit Gouverneur Morris, je suis près de La Fayette ; il me dit que je fais tort à la cause, que mes sentiments sont continuellement cités contre le bon parti.

« Je saisis cette occasion de lui dire que je suis l’ennemi de la démocratie parce que je suis l’ami de la liberté. Je vois qu’ils vont tête baissée à l’abîme, et je voudrais les arrêter si je pouvais. J’ajoute que leurs vues sur la nation ne s’accordent nullement avec les matériaux dont cette nation est faite, et que la chose la plus malheureuse qui pourrait arriver, c’est qu’on leur accordât ce qu’ils désirent.

« La Fayette me dit qu’il sent bien que son parti est fou, et qu’il le lui dit ; mais qu’il n’en est pas moins décidé à mourir avec ses amis.

« Je lui réponds qu’il vaudrait mieux les ramener au bon sens, et vivre avec eux… Si le tiers est modéré, il réussira ; mais, s’il est violent, il se perdra fatalement. »

Nous avons les lettres d’Américains de toutes nuances, qui ont suivi la Révolution française. Washington, Hamilton l’ont jugée à distance ; Jefferson, le chef du parti démocratique, l’a jugée à Paris ; Gouverneur Morris, l’aristocrate, l’a examinée sur place. Il n’y en a pas un seul qui ait cru au succès de la Révolution. Au mois