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un terrible accident. Il s’était brisé la jambe en tombant de voiture ; un médecin, trop pressé de faire une opération, la lui avait coupée quand il pouvait la lui conserver. Il vint donc en France avec sa jambe de bois qui le faisait considérer comme un héros de la guerre d’Amérique. Il y arriva à la veille de la Révolution. Plus tard, en 1792, Washington le nomma ambassadeur auprès de la cour de France. C’est même une chose très-extraordinaire que la lettre dans laquelle il lui annonce sa nomination. Personne, je crois, n’a jamais vu rire Washington ; mais Gouverneur Morris, avec son esprit, avec sa familiarité, avait tellement déteint sur le général, que la lettre de celui-ci s’en ressent : c’est la lettre la plus enjouée qu’il ait écrite.

Nous avons le journal de Gouverneur Morris ; et quand on voudra faire une histoire de la Révolution qui ne soit pas écrite au point de vue du progrès fatal qui justifie le crime par le crime, quand on voudra écrire une histoire impartiale, on fera bien de recourir à Morris, qui, étranger et sans passion, mais avec l’expérience des révolutions, suivait d’un œil inquiet les premiers pas de l’assemblée constituante. Il n’était pas à Paris depuis quelques jours, que remarquant le mouvement des esprits avant la réunion des trois ordres, il commença à douter du succès. Il voit bien, dit-il, que les meneurs veulent établir en France une liberté à l’américaine, mais ils oublient une chose essentielle : c’est que, pour réussir dans ce projet, il leur faudrait un peuple américain. Les observations fines abondent : « Vous réduisez le pouvoir monarchique à n’avoir que le veto suspensif,