Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tique ; on ne parle plus que d’organisme et de physiologie, et l’on a raison. Un peuple n’est autre chose qu’un grand corps, un assemblage de gens qui vivent et qui pensent, et, quand on fait attention à la pensée et à la vie de chacun, on est dans le vrai ; quand au contraire on ne fait que charpenter et machiner un peuple, on est dans le faux. Suivant Rousseau, chaque individu doit être un ressort ; moins ce ressort aura de force propre, plus puissant sera le concours qu’il apportera à l’ensemble. Or, toujours suivant Rousseau, l’homme est naturellement un tout parfait et solitaire ; il faut donc que le législateur « ôte à l’individu ses forces propres pour lui en donner qui lui sont étrangères ; » ce qui équivaut à dire qu’il doit étouffer la volonté individuelle au profit de la société. En un mot, plus le citoyen sera écrasé, plus il sera libre ; vous voyez comment le despotisme se trouve au fond de ce beau système qui proclame la liberté !

Quant à Mably, c’était un Spartiate égaré dans le dix-huitième siècle. Abbé de nom, très-libre penseur en réalité, il vivait dans une petite chambre, seul, sans famille, et très-mécontent de ses semblables. Était-ce un tel homme qui pouvait découvrir ce qui convenait à la France ? Comme il voyait autour de lui des gens très-riches et très-corrompus, Mably fait de la vertu la condition de la liberté, et de la pauvreté la condition de la vertu. La fortune engendre l’avarice et la corruption, il condamne le commerce qui donne la fortune. Et, par exemple, quand il s’avise de donner des conseils aux Américains, qui ne lui en demandent pas, c’est pour les