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choses et quelle était la clairvoyance de l’homme. Les hommes qui voient la vérité sont rares, mais ceux qui, l’ayant vue, ont le courage de la défendre, sont plus rares encore. Ce sont eux cependant qui sont le salut de leur pays. Ce qui manque en général aux peuples, ce n’est pas le désir de bien faire, le bon vouloir, le courage, c’est surtout de savoir ce qu’il faut faire. En temps de crise il y a beaucoup de gens qui voient juste ; mais cela ne suffit pas : il faut des hommes qui osent braver les passions et les intérêts déchaînés. Dire franchement ce qu’on pense, ce qu’il faut faire, c’est souvent le plus grand service qu’on puisse rendre à son pays. John Jay était un de ces patriotes dévoués ; voici sa lettre :

27 juin 1786.

« Mieux vaut avouer nos erreurs et les corriger que de nous abuser et d’abuser les autres par de vains palliatifs, par des excuses plausibles, mais trompeuses.

« Combattre les préjugés populaires, censurer la conduite des États, et exposer leur incapacité, c’est une tâche peu agréable, mais il faut la remplir. Nous marchons à une crise, à une révolution, — quelque chose que je ne puis prévoir ni deviner. — Mais je suis inquiet, et j’ai plus de peur que pendant la guerre.

« Car alors nous avions un but certain, et quoique les moyens de l’atteindre et le jour du succès fussent souvent obscurs, cependant je croyais fermement que nous finirions par réussir, parce que j’étais convaincu que nous avions la justice de notre côté.

« Aujourd’hui, c’est le contraire. Nous faisons fausse route, nous agissons mal ; aussi je m’attends à des malheurs, sans