Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méconnu cette vérité qui, aujourd’hui, crève les yeux parce que nous avons vu de près ce qu’est l’anarchie ; toutes ont été à l’abîme par le même chemin. Il y a des temps où le devoir du citoyen est de défendre la liberté, c’est quand le pouvoir est excessif ; mais il y en a d’autres aussi où c’est un honneur de défendre le pouvoir quand la liberté déborde et va se perdre dans la licence.

Cependant l’état où se trouvait l’Amérique n’avait pas la gravité de nos révolutions. L’anarchie était politique, mais ce n’était pas l’anarchie sociale. L’émeute du Massachusetts était une exception. Dans tous les États, il y avait des gouvernements constitués, une population qui respectait la loi. La nation était menacée, mais non pas la société. C’était cependant un grand crève-cœur pour les patriotes, pour tous ceux qui avaient versé leur sang afin d’affranchir l’Amérique et d’en faire une nation ; ils étaient forcés d’avouer que quatre années de paix sans attaques du dehors avaient suffi pour que l’Amérique abandonnée à elle-même s’effondrât.

Ce fut alors que des cœurs généreux, et à leur tête Hamilton, prirent le parti de s’adresser au pays. C’était chose difficile. Il y a des moments où certaines idées sont absentes des nations. On était dans l’ivresse de l’indépendance, dans la joie de n’avoir plus de maître. La jalousie des États, la crainte même de l’aristocratie, empêchait de ramener l’opinion ; il fallait créer l’esprit public : créer l’esprit public, c’est l’œuvre du temps, et on n’avait pas de temps devant soi. Ce fut ce-