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vaillent pas à s’améliorer, il n’y a pas de progrès. Et, à moins de fermer tous les livres d’histoire, il est trop évident que plus d’une société est morte de faiblesse et de corruption.

À cette théorie du progrès fatal, on en ajoute une autre qui ne me paraît ni moins fausse ni moins dangereuse. On nous apprend que nous n’avons plus besoin de grands hommes ; chaque temps produit ce dont il a besoin, comme un rosier produit des boutons et des fleurs par une végétation naturelle. Bossuet, Racine, Corneille, Vauban, ce sont les boutons et les fleurs de la civilisation, tandis que le commun des martyrs représente la tige et les feuilles. D’après cette belle théorie, l’homme du génie est simplement celui qui emprunte le plus aux idées courantes ; et, un moment, peu s’en est fallu qu’on n’ait déclaré que Racine et Voltaire n’étaient que d’heureux voleurs ; ils ont pris tout l’esprit de leur temps et ne lui ont laissé que le reste.

Pour moi, j’arrive à une conclusion différente : je suis tout à fait de l’avis de Carlyle dans son livre des Héros ; je crois que le monde marche par quelques hommes ; je crois qu’on ne saurait avoir trop de respect et de reconnaissance pour ceux qui, en politique, en religion, en littérature, se mettent en avant et entraînent la foule comme une armée ; je crois que, si le général n’était pas là, l’armée serait encore sous la tente. C’est là le rôle des gens de cœur : il n’y a pas besoin d’être un grand homme pour cela ; mais toutes les fois qu’il y a un progrès, cherchez, et vous trouverez à l’origine un homme qui a combattu, qui a souffert. Toujours vous