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jusqu’au fond des choses, et qu’ils aient compris la portée des questions même qu’ils décidaient ; leurs solutions sont superficielles et souvent fausses. Plus heureux que nous parce qu’ils étaient habitués à la liberté, les Américains ont poussé beaucoup plus loin la science de la politique ; nous ferons bien d’aller à leur école si nous voulons nous corriger de préjugés qui nous ont coûté des larmes, du sang et des misères inutiles. Ils nous apprendront à ne demander à une constitution que ce qu’elle peut donner, véritable moyen d’en obtenir tout ce qu’elle peut et doit donner.

Par exemple, nous parlons souvent de la souveraineté du peuple ; mais savons-nous quelle est la portée de ce principe qui fait l’orgueil des uns et la terreur des autres ? En général nous vivons sous l’empire des erreurs que Rousseau a répandues. La souveraineté du peuple est pour nous la volonté universelle, l’ensemble de toutes les volontés particulières ; elle s’étend à tout, elle comprend tout. En ce sens la souveraineté est absolue, par conséquent despotique, elle ne peut enfanter que la tyrannie.

Ce n’est pas ainsi que les Américains l’entendent. Pour eux, la souveraineté du peuple est la volonté générale appliquée aux intérêts communs du pays. Mais les intérêts communs ne sont pas tout ; il existe en dehors d’eux des droits individuels sur lesquels la volonté générale n’a pas d’empire. La conscience, la pensée, la parole, la liberté d’action sont choses qui appartiennent à l’individu en sa qualité d’homme, et non point en sa qualité de citoyen ; nul individu, nulle collection d’individus, nulle majorité n’a droit d’y porter atteinte. La loi est faite pour protéger et non pas pour déterminer ma liberté ; elle a droit de me punir quand j’envahis la liberté d’autrui, elle n’a pas le droit d’intervenir quand, en ce qui me touche, j’use bien ou mal de mon indépendance.