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n’eût plus de cours ; et cependant une soirée, un concert, un dîner, un souper qui coûtera trois ou quatre cents livres non-seulement empêchera les gens de s’occuper de leurs affaires, mais même d’y penser, tandis qu’un grand nombre d’officiers quittent le service par suite de leur dénûment absolu.

« … Voici le tableau : du fond de mon âme je le crois vrai, et je vous annonce que je suis plus effrayé de ce que je vois aujourd’hui, que je ne l’ai jamais été depuis le commencement de la querelle[1]… »

Si je cite ces tristes lettres, c’est pour mieux faire comprendre ce qu’est un grand homme. La lettre suivante, datée de West-Point, 16 août 1779, nous fera connaître, dans toute sa simplicité, le Fabius américain.

« Au docteur Cochran, chirurgien en chef de l’armée,
« Cher docteur,

« J’ai invité madame Cochran et madame Livingston à dîner demain avec moi ; mais ne suis-je pas en honneur obligé de leur dire quelle chère je leur ferai faire ? Comme je déteste de tromper, lors même qu’il ne s’agit que de l’imagination, je vais m’acquitter de mon devoir. D’abord il est inutile d’affirmer que ma table est assez grande pour recevoir ces dames ; elles en ont eu hier la preuve oculaire. Il est peut-être plus nécessaire de leur dire de quelle façon elle est habituellement servie ; c’est l’objet de ma lettre.

« Depuis notre arrivée dans ce bienheureux séjour, nous avons eu un jambon, quelquefois une épaule de cochon salé pour garnir le haut de la table ; un morceau de bœuf rôti orne l’autre bout, et un plat de fèves ou de légumes, plat presque imperceptible, décore le milieu. Quand le cuisinier se met en tête de briller (je présume qu’il en sera ainsi demain), nous avons en outre deux pâtés de tranches de bœuf, ou deux

  1. Lettre à Benj. Harrison. 30 décembre 1778.