Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 2.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les ministres ne se mettront pas un jour en tête que j’ai servi à Long-Island, sous le général Washington ? En pareil cas, que me servirait-il de plaider un alibi, d’assurer à mes anciens amis que durant la campagne d’Amérique j’étais en Angleterre, et n’ai vu d’autre mer que la Manche entre Douvres et Calais, et que toute ma piraterie a été commise sur des poissons muets ?

« — Tout cela peut être vrai, me répondra un ministre ou quelque valet de ministre, mais vous êtes suspect, cela suffit ; ce n’est pas le moment de la preuve. Je sais que vous aimez l’Écosse ; aussi, par cette lettre munie du seing royal, je vous envoie étudier la langue erse dans l’île de Bute[1]. Aussitôt que l’effet du bill aura cessé, vous aurez la liberté de retourner où bon vous semblera, et alors vous pourrez sommer vos accusateurs de prouver leurs accusations de haute trahison commises en Amérique ou sur les hautes mers, ou de piraterie. Mais alors ils vous riront au nez, et vous diront qu’ils ne vous ont jamais accusé ; vous n’étiez pas coupable, vous étiez suspect[2]. »

C’était, je le veux, une crainte imaginaire ; mais pourquoi ? Parce qu’il y avait en Angleterre assez d’esprit public, un Parlement assez résolu et une presse assez libre pour empêcher l’abus. Mais sans ces garanties, quel citoyen eût été à l’abri du danger ? « Personne, disait Malesherbes à Louis XV, n’est assez grand chez nous pour échapper à la vengeance d’un ministre, ni assez petit pour ne pas craindre la rancune d’un commis. »

Vous avez vu que Chatham parle souvent d’un traité de l’Amérique avec la France ; c’est qu’en effet ce traité

  1. Lord Bute était le favori du roi.
  2. Lord Mahon, VI, 153.