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vois au contraire que c’est partout l’individu qui existe, et je ne crois guère que réunir ensemble des ignorants et des sots soit un moyen infaillible de produire de l’esprit.

Mais néanmoins il y a une part de vérité dans cette fausse idée.

Oui, le temps des héros est passé, si l’on entend par héros ces hommes qui font vivre un siècle de leur pensée, qui lui donnent leur fièvre ; cela est bon à des époques où l’homme a besoin d’être mené ; cela est mauvais en des temps civilisés. Le temps des Alexandre et des César est fini.

Mais s’il n’y a plus de héros légendaires, si les individus jouent un plus grand rôle et ne sont plus une pâte ductile entre les mains d’un maître, il y a place, et une place chaque jour plus large, pour les grands caractères. Ce qui est à craindre dans notre temps, ce sont ces courants d’opinion, ces coups de majorité qui entraînent un pays et le précipitent. En France, rien ne réussit comme le succès, disait madame de Staël ; mais ce succès même, nous le compromettons par notre emportement.

Ce qu’il nous faut, ce sont des hommes qui restent à leur place quand le flot recule, et qui sans crainte ni espoir, mais avec un calcul certain, attendent le retour de la marée. Cela n’est pas nécessaire seulement pour résister à l’ennemi, mais pour résister à l’abandon, à l’indifférence publique, dans les jours où la liberté est honnie, calomniée, maudite. Tout le monde ne peut pas être Washington, mais tout le monde peut prendre