c’était livrer Philadelphie : combattre avec une rivière derrière soi, c’était risquer les dernières forces de l’Amérique. Washington prit un de ces partis hasardeux qui réussissent presque toujours en guerre : laissant les feux allumés dans son camp, il fit un détour pendant la nuit, et alla attaquer à Princeton les troupes que lord Cornwallis avait laissées à l’arrière-garde. Là, Washington combattit avec cette ardeur héroïque qui était le seul défaut que lui reprochassent ses soldats ; il s’exposait trop ; on eût dit que cette froide et calme nature s’animait au milieu du danger. L’expédition remplit et au delà son objet ; le général Howe fit évacuer le New-Jersey, que les Hessois avaient pillé et insulté au nom du roi légitime, et qui avait pris en horreur ses prétendus défenseurs. Aux approches de l’armée américaine, on voyait les habitants se hâter d’arracher de leurs maisons un bout de haillon rouge cloué sur la porte, en signe d’affection pour la couronne ; c’était l’affection de la peur.
Ces succès de Trenton et de Princeton retentirent par toute l’Amérique. Ce fut une résurrection, dit un contemporain. Parmi ceux qui avaient crié le plus fort à l’origine, quand tout était tranquille, il en était plus d’un qui, changeant de langage, avait crié que les armées anglaises étaient irrésistibles, et que la guerre de l’indépendance était une folie ; ils se mirent à crier de nouveau, mais sur un autre ton. On célébra partout le nouveau Fabius :
Unus qui nobis cunctando restituit rem,
Non ponebat enim rumores ante salutem ;
Ergo magisque magisque viri nunc gloria claret.