Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 2.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est qu’à distance nous n’avons plus les passions du temps ; c’est ce qui fait que le passé nous semble si absurde et que nous nous jugeons si raisonnables, parce que nous avons d’autres passions.

Oui, Burke avait raison, Chatham voyait l’avenir, Franklin était prophète. Oui ; mais ce qui fait la force de la vérité et de la justice, ce n’est pas le génie de celui qui l’annonce, c’est la sagesse de celui qui l’écoute. Cette sagesse-là n’est pas chose extérieure ; on ne la donne pas aux peuples ni aux rois comme une cocarde ; c’est l’œuvre de l’éducation, de la raison et du temps. Voilà pourquoi les vrais bienfaiteurs de l’humanité sont ceux qui instruisent et qui avertissent les nations ; voilà pourquoi l’histoire est une œuvre morale quand, sans faiblesse et sans passion, elle juge et condamne le passé. Mais, il faut le dire, l’historien manque trop souvent à son devoir ; il se fait le complice des événements ; il nous parle des fautes des rois et des ministres ; il ne nous dit rien de la passion et de la folie du peuple. Ce coupable-là est toujours amnistié. Et non-seulement il est amnistié, mais sa folie sert à amnistier les crimes de ses chefs. La Saint-Barthélémy, les massacres de septembre, les échafauds de 1793, les excès du despotisme, la bassesse de ceux qui le servent, tout se justifie par la faute de cet être irresponsable et multiple qu’on nomme le peuple, et dont chacun se détache avec dédain. Repoussons cette lâche morale, condamnons tous les coupables et tous les complices. L’histoire est à refaire ; elle doit assigner à chacun sa part. Sévère pour les rois ou les tribuns qui ont flatté la foule et entretenu l’igno-