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Les jugements, c’est là, il faut le dire, le côté le plus sombre de notre révolution, la cause la plus directe de son insuccès. Ce ne sont pas des jugements que rend le tribunal révolutionnaire : ce sont des proscriptions qu’il prononce. Il ne juge pas des accusés : il abat des ennemis. « Qu’est-ce que la guillotine ? s’écrie Camille Desmoulins : un coup de sabre appliqué par la main du bourreau ! » Il avait raison ; mais quelle condamnation pour les hommes qui ont fait un pareil abus de la justice ?

Songez-y, ce qui fait la force du citoyen, sa sécurité, sa noblesse, c’est qu’en respectant des lois honnêtes, faites par ses représentants, il a droit de compter qu’il vivra libre et respecté. C’est là sa planche de salut. Mais si vous le noyez sur cette planche même, si la justice est un piège et le juge un bourreau, qu’est-ce donc que la liberté ? Où est la garantie ?

La société n’est plus alors qu’un peuple en guerre : violences, intérêts, ruse, tous les crimes et toutes les passions y règnent en souverains. La fin d’un pareil régime est écrite dans l’histoire et dans la conscience humaine. Le peuple, épuisé et démoralisé, maudit cette liberté et cette justice déshonorées ; il lui faut le repos, et, pour l’avoir, il se jette aux pieds d’un maître. Heureux au contraire le pays qui, même au milieu de ses passions et de ses souffrances, sent qu’il y a quelque chose au-dessus de lui : la justice, divinité sereine, qui le défend de ses propres faiblesses et lui garantit tous ses droits.

Si l’on me demandait ce qui distingue les peuples