Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 2.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’opinion sous le règne de Louis XV ; la guerre civile qui déchire les États-Unis ne date pas de la présidence de M. Lincoln. Il y a trente ans que le nuage grossit, et que tout homme de sens le signale à l’horizon. Channing, Parker et bien d’autres ont annoncé à l’Amérique que l’esclavage était un cancer qui la rongerait ; on ne les a pas écoutés. Les hommes d’État, les politiques, sont la plupart du temps des gens à courte vue, qui ne songent qu’à l’heure présente ; ils cherchent de petits moyens, de vains palliatifs pour guérir des plaies profondes ; ils flattent les passions, transigent avec les intérêts les moins respectables, s’acquièrent ainsi un grand renom de sagesse, quand ils ont le bonheur de mourir avant l’explosion, et laissent à leurs successeurs tous les dangers et toutes les misères d’une révolution.

Il en a été de la Révolution de 1776 comme de la guerre civile de 1861 ; on l’a prévue, on l’a annoncée trente ans à l’avance. L’abandon du Canada par la France, en 1763, a précipité la séparation ; mais avec la politique suivie par l’Angleterre, et avec la croissance des colonies, cette séparation était inévitable. Une poignée d’émigrants accepte la protection de la métropole ; un groupe de trois millions d’hommes ne se soumet pas à un gouvernement lointain qui l’exploite, à une administration qui gêne ses intérêts et sa liberté ! C’est ce que l’Angleterre, instruite par l’expérience, a compris aujourd’hui. Elle gouverne militairement l’Inde, une nation énervée par sa religion et son climat ; mais le Canada, le Cap, l’Australie, qui sera aussi un monde, se gouvernent eux-mêmes ; leur union avec la métro-