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monarchie, ni pour cette politique violente qui, de 1790 à 1 799, nous a menés au despotisme par le chemin de l’anarchie. Quand on compare la révolution d’Amérique avec celle de France, quand on voit comment la première a réussi grâce au patriotisme et aux sacrifices de ses hommes d’État, comment la seconde a misérablement échoué par les passions, l’ignorance, l’injustice et les crimes de ceux qui l’ont égarée, on sent qu’il est nécessaire d’en finir avec l’idolâtrie de la révolution comme avec le culte de l’ancien régime. Ce qu’il faut à la France nouvelle, ce ne sont point de vains souvenirs ; c’est l’intelligence et l’amour de la liberté. Le passé n’est pas la mesure de la liberté ; c’est tout au contraire la liberté qui est la mesure du passé, c’est à elle qu’il appartient de juger et au besoin de condamner. Tant qu’on renversera les rôles, on se perdra dans une sotte imitation théâtrale ou dans des récriminations sans fin ; laissons les morts ensevelir les morts. Soyons de notre temps et songeons à l’avenir.

Pour nous guérir de ces préjugés malsains, je ne connais rien de meilleur que l’histoire de la révolution américaine. Là-bas, dans le nouveau monde, on ne trouvera rien de ces haines de classes et de partis qui ont ensanglanté la France, rien de ces théories que Rousseau et Mably avaient mises à la mode : fatales erreurs qui ne pouvaient enfanter que des maux et des excès, rien de ces ambitions sans frein qui s’arrachent le pouvoir et se partagent la patrie en lambeaux. Il y a sans doute en Amérique plus d’une passion et plus d’une faiblesse ; les Américains ne sont pas des saints, mais l’amour du pays l’emporte, et d’ailleurs le peuple est trop sensé pour que personne ose rêver de l’asservir et de lui imposer sa volonté ou son caprice. Il n’y a pas là une nation façonnée de longue date à se laisser conduire, et qui se croit libre parce qu’elle change de maître. Un jour, il est vrai,