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blir entre ses mains et de son vivant la valeur de la propriété qu’il a créée, car, au fond, abréger la durée d’un droit, c’est en diminuer le prix actuel ? J’ai de grands doutes à ce sujet.

Par exemple, il me semble que si aujourd’hui on voyait les héritiers de Corneille ou de La Fontaine jouir de la fortune conquise par le talent de leurs ancêtres, ce grand spectacle, qui serait un encouragement pour les lettres, servirait puissamment l’intérêt public. Ce serait un hommage rendu à ces génies bienfaisants qui forment les générations, génies bien plus utiles à l’humanité que les rois et les conquérants, et dont la noble influence dure encore quand ceux qui ont ensanglanté ou tourmenté le monde sont depuis longtemps et justement oubliés.

Lorsque Corneille écrivait Le Cid, il avait près de lui quelque paysan qui travaillait la terre. Ce labeur du paysan n’était ni plus rude, ni plus noble que celui du grand homme. Les arrière-neveux de ce paysan jouissent aujourd’hui du travail de leur aïeul ; pourquoi les petits-fils de Corneille seraient-ils déshérités ?

À cela deux objections :

L’héritier d’un homme de génie pourrait donc supprimer les œuvres de son père, ou en restreindre la publicité ? Ce droit de propriété augmenterait le prix des livres, et on ne saurait trop répandre les lumières.

La première objection a été souvent répétée. Les héritiers de Voltaire, a-t-on dit, et bien moins encore, des hommes de parti qui achèteraient le droit de ces héritiers, pourront donc supprimer ces écrits célèbres, et confisquer le génie au profit de leurs préjugés ou de leurs passions ?

M. de Lamartine a répondu à cette objection : « Ce cas si improbable dans l’avenir, a-t-il dit, ne s’est pas pré-