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vendant un livre, l’auteur a-t-il l’intention d’aliéner le texte de son ouvrage, et le met-il dans le commerce ? En achetant un livre, que pensez-vous payer, sinon quelques feuilles de papier noirci, et une jouissance intellectuelle ? Croyez-vous, comme dans la propriété foncière, que vous vous êtes mis au lieu et place d’un prédécesseur ; croyez-vous que les vers et les pensées du poëte vous appartiennent de même façon que les pommiers et les cerisiers plantés par votre vendeur ? Celui qui achète les fables de La Fontaine se croit-il le successeur du Bonhomme ? Imagine-t-il qu’il est l’auteur ou le propriétaire de ces charmants écrits, parce qu’il les a lus ou qu’il les a fait lire à ses enfants ? Assurément non. Notre propriété reste donc intacte, quoique les produits en soient dans les mains d’autrui ; personne n’use de notre chose, animo domini, et cela même est impossible. Comprendrait-on l’acheteur d’un exemplaire de Racine qui se déclarerait le propriétaire du texte de Racine, et en demanderait le monopole ? Vous avez acheté, lui dirait-on si on se donnait la peine de lui répondre, vous avez acheté la propriété de cet exemplaire et rien de plus. Faites de cet exemplaire ce qu’il vous plaira ; le texte de Racine n’appartient qu’à celui qui l’a écrit.

Singulière propriété, dira-t-on, et qui ne ressemble guère aux autres ! Je l’accorde, mais en est-ce moins une propriété ? Qu’il me reste ou non un exemplaire de mon livre, le texte qui le constitue en est-il moins un objet certain, une chose matérielle ? Y a-t-il doute pour savoir quel est le créateur et le propriétaire ? Cet objet certain est-il de nature à donner des fruits ? Qu’est-ce que le droit de reproduire et de multiplier un livre, sinon le droit de tirer des fruits de ma chose, par conséquent un véritable droit de propriété ? Les fruits sont différents des fruits de la terre, cela est vrai, et on