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que, non-seulement l’œuvre littéraire appauvrit pas le fonds commun, mais qu’elle l’enrichit. Bossuet écrit une Histoire universelle, Montesquieu publie l’Esprit des lois, cela empêche-t-il quelqu’un de faire une autre Histoire universelle, d’imaginer un nouvel Esprit des lois ? Qu’y a-t-il de moins dans la circulation des idées ? Rien, sans doute, et il ne serait pas difficile de démontrer qu’il y a quelque chose de plus.

Reste la seconde objection qui détruit la première. L’idée une fois émise, nous dit-on, appartient à tout le monde. Je le reconnais, c’est la preuve que l’appropriation des idées n’est pas possible. Mais jamais écrivain n’a demandé le monopole de ses idées, il a demandé la reproduction exclusive de son manuscrit, ce qui est tout autre chose. Racine a publié Phèdre : cela n’a pas empêché Pradon de traiter le même sujet, et personne, que je sache, n’a crié à la contrefaçon. Emparez-vous de mes idées, osez de mes raisonnements, répandez, mes opinions, rien de mieux ; tout ce que je demande, c’est que vous ne reproduisiez pas mécaniquement les lignes que j’ai écrites. Faites une Histoire de Napoléon, et profitez des recherches de M. Thiers, mais ne réimprimez pas le texte de son livre, car c’est là un délit matériel aussi visible que le vol des fruits qui poussent dans mon champ.

C’est de cette fausse notion qu’on est parti, soit pour nier le droit des auteurs, soit pour le transformer en simple privilège : Il est juste, a-t-on dit, de protéger l’homme qui, par son génie, enrichit le siècle présent et les générations à venir. Cela est juste, sans doute, mais comment s’exerce cette protection ? Donnez-vous à l’auteur le monopole de ses idées ? Non, cela est impossible. Ce que vous protégez, ce n’est pas une idée, c’est un manuscrit. Vous empêchez, une reproduction mécanique, et rien de plus. En d’autres ter-