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Racine : il y a une idée que le poète a empruntée à Euripide, et qu’il a transformée par son génie ; il y a ensuite des vers, c’est-à-dire un ensemble de mots qui se suivent dans un ordre régulier et tout personnel au poète ; ces vers, transcrits sur le papier et multipliés par l’impression, deviennent par cela même un objet certain. Il est tout aussi facile de constater que la Phèdre a été créée par Racine, qu’il est aisé de constater que ce champ a été défriché par Pierre ou Paul. Personne ne peut s’y tromper, personne ne peut s’imaginer qu’une tragédie ou un livre ne soit l’œuvre de quelqu’un.

Cette distinction de l’idée et de la forme est bien simple ; cependant c’est de la confusion de ces deux choses qu’on s’autorise pour nier la propriété littéraire. Ce qui constitue une œuvre littéraire, répète-t-on tous les jours, c’est l’idée ; or, cette idée, d’une part elle ne vous appartient pas, vous l’avez empruntée à ce fonds commun qui est à tous les hommes, par conséquent, vous ne pouvez vous l’approprier sans injustice ; et d’un autre côté, une fois que vous avez émis votre idée, elle est à tout le monde. Vous ne pouvez empêcher que chacun ne s’en serve. La propriété littéraire n’existe que pour se communiquer, et en se communiquant elle s’aliène.

De ces deux objections qui s’entre-détruisent, l’une est puérile et l’autre repose sur une erreur.

Je dis que la première est puérile. — Sans doute on peut applaudir Pascal quand il nous dit avec son mordant ordinaire :

« Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent : mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un chez moi à la bouche. Ils feraient mieux de dire : notre livre, notre