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l’acquisition du manuscrit dont l’auteur leur transmet la propriété au moyen du prix qu’il en reçoit…

Les manuscrits que les libraires achètent des auteurs, aussi bien que les textes des livres qu’ils acquièrent en s’établissant, sont en leurs personnes de véritables possessions, de la même nature que celles qui tombent dans le commerce de la société civile, et par conséquent on doit leur appliquer les lois qui assurent l’état de toutes celles qui se font entre les hommes, soit terres, maisons, meubles ou autres choses de quelque espèce que ce puisse être…

Un libraire qui a acquis un manuscrit et obtenu un privilège pour l’imprimer doit demeurer perpétuellement propriétaire du texte de cet ouvrage, lui et ses descendants, comme d’une terre ou d’une maison qu’il aurait acquise, parce que l’acquisition d’un héritage ne diffère en rien, par la nature de l’acquisition, de celle d’un manuscrit. Cependant, quoique ces deux différentes espèces d’acquisition soient de même nature dans l’ordre des conventions, et qu’il ne se soit encore jamais trouvé personne d’assez visionnaire pour recourir à l’autorité du prince afin de se faire mettre en possession de la maison d’un autre, sous prétexte de la longue possession de celui qui en jouit, ou de celle de ses auteurs, néanmoins les libraires de province osent aujourd’hui, etc.[1].

On voit quel est le système de d’Héricourt. Pour lui, la propriété consiste dans le manuscrit, dans le texte du livre. En véritable jurisconsulte, d’Héricourt ne se perd pas dans les abstractions. La propriété, pour lui, consiste toujours dans un objet certain, dans une chose matérielle, qu’on peut donner, vendre, échanger ; cette chose, c’est le manuscrit.

D’Héricourt a-t-il raison ? c’est ce qu’il faut examiner.

Prenons un livre ; cette œuvre représente deux choses distinctes et parfaitement reconnaissables : les idées de l’auteur, la forme qu’il a donnée à ces idées, forme qui n’a d’existence matérielle que par le manuscrit, et de valeur commerciale que par l’impression. Voici la Phèdre de

  1. J’emprunte ces citations à l’intéressant ouvrage de M. Breulier, Du droit de perpétuité de la propriété intellectuelle, p. 30.