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Seulement le législateur ne s’inquiète pas des abstractions, il ne connaît l’idée que par le produit qu’elle a enfanté, et c’est ce produit qu’il entoure de sa protection. Y a-t-il ici un produit, un corps certain qui constitue une propriété ? Sans doute, c’est le moule reproducteur. Mais, dira-t-on, on n’y touche pas. Touche-t-on davantage à mon champ, lorsqu’un voisin construit une fabrique de produits chimiques qui stérilise ma terre par des vapeurs malfaisantes ? Touche-t-on a ma maison, lorsqu’on établit à côté de moi un atelier de chaudronnerie, dont le bruit rend ma demeure inhabitable ? Et cependant la loi voit là une atteinte à ma propriété ; parce qu’on détruit indirectement la valeur que j’ai créée. Quelle différence y a-t-il, sinon que la position du bronzier est plus respectable, car, enfin, le voisin démon champ use de sa propre chose, de ce que seul il a créé, et cet usage serait légitime si je n’étais pas là, tandis que le contrefacteur sait le tort qu’il me fait. Peut-il ignorer qu’il n’est pas le créateur de l’œuvre qu’il tourne contre moi ?

À présent que nous sommes fixés sur le principe, l’objet et la garantie de la propriété, venons à la propriété littéraire, et voyons en quoi elle se rapproche ou s’éloigne des autres espèces de propriété.

Il est inutile de démontrer que, dans son principe, la propriété littéraire ressemble à toutes les autres. Qu’on l’accepte ou qu’on la repousse, tout le monde est d’accord pour y reconnaître l’application la plus élevée de l’intelligence humaine ; personne ne conteste que l’œuvre de l’auteur ne soit infiniment respectable ; personne non plus ne peut nier qu’il n’y ait là une création de valeur considérable ; c’est par millions qu’il faut évaluer le travail que donnent aux ouvriers un Walter Scott, un Thiers, un Lamartine. La difficulté ne commence qu’au second degré, quand on re-