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efforts et beaucoup d’argent ; il a fallu des dessins, des modèles, des moules, tout un appareil industriel. Mais à la différence d’autres produits, rien n’est plus aisé que de s’approprier le fruit de mon travail, sans se donner les mêmes peines et sans courir les mêmes risques. Il suffit d’un surmoulage pour me faire une concurrence déloyale, car j’ai vendu cette pendule pour qu’on en jouisse et non pas pour qu’on la reproduise : c’est un meuble que j’ai cédé et non pas un modèle ; rien ne peut donc autoriser un tiers à s’emparer d’une œuvre qui n’est pas la sienne.

Supposons que le législateur prenne la défense de mon droit et qu’il interdise le surmoulage, sera-ce un principe nouveau qu’il introduira dans le Code, ou tout simplement une nouvelle forme de garantie pour la propriété ? Je ne vois aucune différence essentielle entre l’œuvre du fermier, du filateur et du bronzier. Tous trois appliquent leur intelligence et leurs forces pour obtenir des produits matériels et échangeables ; tous trois demandent la protection de la loi pour les fruits certains et visibles de leur travail ; il y a seulement cette différence que, pour dépouiller les deux premiers, d’ordinaire il faut entrer chez eux par force ou par ruse, tandis qu’on peut dépouiller le dernier sans aller chez lui, en paralysant et en ruinant entre ses mains le moule, la machine qui constitue pour lui une propriété. Il y a une espèce particulière de vol qu’on nomme la contrefaçon ; c’est ce délit que la loi poursuit et punit d’une manière différente ; la forme de la garantie change avec celle de l’attaque, le fond du droit ne varie pas : c’est toujours la propriété.

Dira-t-on que ce que la loi prend ici sous sa garde, c’est l’industrie, l’invention, l’idée ; mais il en est ainsi pour toute propriété. C’est toujours le travail et l’effort que la loi protège ; ce n’est pas la chose, c’est l’homme qu’elle défend.