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ces épines, ces halliers, et procurait aux légumes étouffés l’influence fécondante de l’air ; s’il semait des légumes dans ce terrain défriché par ses mains, personne ne serait en droit de semer dans son terrain, ou de cueillir les grains, les fruits, les légumes qu’il produirait. Le défricheur acquerrait sur ce terrain et sur ses productions un droit exclusif ; ils ne seraient plus communs, ils lui seraient propres, et personne ne pourrait user ni du terrain, ni des légumes ou des fruits qu’il produirait, sans son consentement ; cet homme aurait donc une propriété foncière.

La propriété, comme vous voyez, est un droit exclusif acquis par le travail ou par l’industrie, et l’homme a un droit exclusif à tout ce qui existe par son travail et par son industrie, ou qui en est le résultat ; aucun autre que lui n’est en droit de s’en emparer, ou d’en user sans son consentement.

Voilà l’origine et l’essence de toute propriété. L’application en est facile à la question qui s’est élevée sur la propriété littéraire.

La nature ne fait naître aucun homme avec un droit exclusif à telles ou telles connaissances ; les sciences sont un bien commun à tous les hommes ; mais la nature ne fait naître aucun homme avec la connaissance des vérités qui en découlent ou qui en dépendent ; il faut qu’il médite, qu’il veille, qu’il s’applique pour acquérir ces connaissances, pour les communiquer, pour composer un ouvrage sur une partie quelconque des sciences humaines. Son ouvrage est donc le fruit de son travail et de son industrie ; il a donc sur son ouvrage un droit exclusif ; il en a la propriété, de manière que nul autre que lui n’a le droit d’en user ou de le communiquer sans son consentement. On n’a pas plus le droit de communiquer son ouvrage sans son consentement, que de semer ou de moissonner dans un champ défriché et ensemencé par un autre, sans son consentement.

La communication de cet ouvrage est la récolte ou le fruit du champ défriché par l’auteur ; tout autre qui le communique sans son consentement moissonne le champ que l’auteur a défriché, ensemencé, sur lequel il a un droit exclusif ; l’ouvrage appartient donc encore à l’auteur, lorsqu’il l’a publié, et il n’appartient qu’à lui ; nul autre n’y a droit.

Celui qui aurait droit à son ouvrage en partagerait avec lui la propriété, ce qui est impossible ; car nous avons vu que toute espèce de propriété s’acquiert par le travail et l’industrie. Or, l’ouvrage d’un auteur est le fruit de son travail ou de son industrie, et non le fruit du