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sur le grand escalier. Il était déjà nuit, et le mélanger de clarté au-dedans, d’obscurité au dehors, donnait à tout ce tableau un caractère particulier. A neuf heures et demie, un grand bruit de chevaux, de voitures, se fit entendre sur le quai ; une troupe de lanciers, le sabre à la main, se précipite à travers le guichet, jetant des cris affreux et renversant tout le monde : une berline était au milieu d’eux ; elle s’arrête à la place même d’où était partie la voiture du Roi, moins de vingt-quatre heures auparavant ; la portière s’ouvre, et sur le marchepied parait Napoléon, vêtu de la même redingote grise, ayant sur la tête le même chapeau uni, qu’on lui voyait toujours, et présentant l’image d’une apparition fantastique : il veut s’avancer ; mais il ne peut traverser la foule, lorsqu’une troupe de généraux et d’officiers, la plupart l’épée à la main, le soulèvent, et le portent, comme en triomphe, dans l’intérieur du pavillon, en faisant retentir les voûtes de Vive l’Empereur ! Cette scène avait quelque chose de gigantesque, de disproportionné avec les évènements humains. Un soldat parvenait, pour la seconde fois, à s’asseoir sur le trône d’un grand empire, non plus par des gradations marquées, non plus à l’aide de services éclatants, ou brillant d’une gloire nationale ; mais seul, sortant de l’exil, à la face du monde entier qui l’avait rejeté ; n’ayant pour appui que des souvenirs ; pour séductions, que des espérances. Certes, un pareil spectacle était fait pour en imposer ; mais il eût fallu, pour en être ému, n’avoir pas été témoin de l’événement qui l’avait précédé. Au milieu de ces cris de joie, on croyait encore entendre les soupirs, les sanglots de la veille ; les rampes semblaient encore humides des larmes dont elles avaient été inondées. A la place de cette grandeur terrible, on se représentait