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mesure que le Roi avançait, d’autres gardes nationaux se précipitaient de même à ses pieds, et se pressaient autour de lui dans ce désordre de l’émotion, cette familiarité du malheur, qu’un caractère supérieur excuse, parce qu’il est digne de l’apprécier. En effet, ce n’était plus seulement le Monarque qu’on voyait s’éloigner avec tant de regrets, c’était l’être bienfaisant, éclairé, généreux, que chacun aurait voulu défendre aux dépens de ses jours, soigner comme un père, révérer comme un ange tutélaire. C’est dans ces moments terribles où la puissance perd une partie de son prestige, et la faveur sa puissance, que le sentiment se montre dans toute sa vérité ; c’est alors qu’un souverain peut connaître ce qu’il inspire, et se voir, de son vivant, porté au tribunal de l’histoire et de la postérité : Divus post mortem.
Le Roi, ainsi entouré, parvint avec peine jusqu’à sa voiture, qui s’éloigna sur le champ, escortée par un détachement de gardes du corps. Nous restâmes tout un moment immobiles, comme frappés d’un effet surnaturel. Outre les officiers de service qui assistèrent à ces adieux touchants, plusieurs officiers de la garde nationale s’y trouvaient présents, entre autres M. Acloque, chef de la 11° légion ; MM. de Lachauvinière, Solirène, et Tilly, de l’état-major, qui avaient pressenti ce qui allait se passer. Il était minuit un quart. Monsieur partit une heure après ; les voitures de service suivirent immédiatement, et bientôt le palais des Rois présenta ce silence de l’abandon, ce vide solitaire qui retraçait encore le passé, et où déjà se plaçait l’avenir. Quelles réflexions chacun de nous a pu faire dans ce terrible intervalle entre la monarchie qui semblait déjà ne plus exister, et la nouvelle domination qui n’existait pas encore !