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Manicamp.

Permettez… ce sera mon châtiment. (Reprenant.) Nous chassions le canard… aux environs de Versailles ; nous marchions à petits pas, dans les roseaux qui bordent l’étang de Saint-Cucufa. Tout à coup, vous me dites avec une grande sagacité : "Marquis, pour approcher les canards, il faut prendre le vent." Je vous réponds : "C’est juste, il vient de l’ouest, tournons à droite. — Il vient de l’est, répliquez-vous, tournons à gauche. — Par exemple ! si ce vent-là vient de l’est !… je vous dis qu’il vient de l’ouest. — Je vous dis qu’il vient de l’est ! " À ce moment, brrrou ! une bande de canards sort des roseaux… pan ! je tire.

Folleville.

Moi aussi…

Manicamp.

Il en tombe un… aussitôt vous criez : " Il est à moi ! je l’ai tué ! — C’est un peu fort !… vous avez tué ce canard-là, vous ? — Oui, j’ai tué ce canard-là, moi ! — Ça n’est pas vrai ! — Marquis ! — Chevalier !…" Alors, ma diable de tête se monte, se monte… vous me prenez le bras… je vous repousse : "Puisque tu l’as tué, apporte !…" et paf ! vous voilà dans l’étang !

Folleville.

De tout mon long.

Manicamp.

Au même instant, la chasse débouche, le roi en tête. Louis XV, la fine fleur de la courtoisie !… Que faire ? une pareille brutalité ! j’étais perdu, déshonoré !… enfin, on vous repêche, on vous questionne… Moi, j’enviais le sort des poules d’eau… pour plonger. "Rien de plus simple, répondez-vous avec calme, je causais avec Manicamp, mon pied a glissé et je suis tombé…" À ces mots, Folleville ! ah ! je sentis une douce larme perler sous mes longs cils bruns. J’étais sauvé !