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Madame Gaudin

Des lyres, mon enfant, des lyres !… M. de Valtravers surtout… quelle tendresse contenue dans son regard !… quand on l’a apporté, il m’a semblé voir la statue de la douceur sortant de l’onde amère !

Delphine

L’onde amère !… à Bougival !

Madame Gaudin

Qu’importé ? c’est pour la phrase !… et M. Ulric, le peintre… car je flotte entre ces deux enfants perdus de la poésie… quelle tête byronienne ! comme il est acre et amer !… il me fait peur et m’attire tout à la fois… comme l’abîme.

Delphine

Ah ! bien, moi, M. de Vertchoisi ne me fait pas peur, au contraire…

Madame Gaudin

Comment ?

Delphine

Je lui trouve quelque chose de surhumain, de séraphique, de pas possible !…

Madame Gaudin

Petite poète !

Delphine

Comme on sent bouillir l’inspiration sous ce vaste crâne… dégarni par les veilles !…

Madame Gaudin

Épilé par les muses !… — Mais tu en parles avec un enthousiasme…

Allant s’asseoir.

Delphine ?

Delphine

Ma tante !

Madame Gaudin

Approche… sur mes genoux…

Delphine s’assoit sur ses genoux.

Maintenant, parle, enfant… égrène dans mon sein le rosaire de tes confidences…L’aimerais-tu ?

Delphine
se levant.

Quand je respire le bruit de ses pas, je frissonne… quand sa voix éclaire mon oreille… je tremble !… quand son regard frappe à la porte du mien… je soupire !… est-ce de l’amour, ô ma tante ?

Madame Gaudin
se levant, à part.

Saprelotte !… j’en ai bien peur !…

Haut.

Mais ai-je le droit de te blâmer quand moi-même…

Delphine

Quoi ?

Madame Gaudin
riant.

Rien !