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LAFURETTE.

Curieux ! Sois tranquille ! va ! (Nazaire sort.)


Scène VII

LAFURETTE, seul.

Voilà qui est étrange !… mon Dieu ! que c’est étrange ! Allons ! allons ! je crois que j’ai bien fait de venir… D’abord, je n’y tenais plus… Je demeure en face… au numéro 3 ; je suis rentier ; je n’ai rien à faire… et naturellement, comme tout le monde, j’aime à savoir ce qui se passe dans mon quartier… C’est même pour cela que, malgré mon âge, je me suis fait maintenir sur les rôles de la garde nationale… une faveur !… Ce n’est pas pour la gloire… quoique cependant… Oh ! non ! mais on cause… on cause avec le tambour, on sait les nouvelles… Je ne suis pas curieux !… oh ! Dieu ! Mais cet appartement, inhabité depuis longtemps, s’est peuplé subitement de deux êtres mystérieux… qui sont arrivés le soir… circonstance aggravante !… car on ne déménage pas le soir… J’étais couché… Tout à coup, j’aperçois de la lumière, et je crie à ma femme : « — Ah ! dis donc !… la maison numéro 4 est habitée… — Hein ! quoi !… qu’est-ce que c’est ! — La maison numéro 4. — Ah ! tu m’ennuies ! » — C’est au point que je n’en ai pas dormi de la nuit… absolument comme si j’avais pris du café. Le lendemain, je me lève de bonne heure, je me rase, je me coupe !… l’émotion !… Je m’habille et je me poste à la fenêtre, avec un sourire bienveillant, tout prêt à saluer mes nouveaux voisins… J’attends jusqu’à midi, toujours avec mon sourire, personne ne paraît ! Je descends, je questionne le concierge… il ne sait rien !… Nous avons un très-mauvais concierge… À huit heures du soir… toujours le soir !… je vois sortir un monsieur qui se glisse le long des murs avec un sac de nuit… Je le suis ! Il achète successivement un melon, un gigot et des épinards !… Je ne le blâme pas de ça… moi-même j’aime assez le melon, le gigot et les ép… Oh ! non, pas les épinards. (Reprenant.) Deux jours après, j’apprends chez le boucher qu’il s’appelle Duplantoir et qu’il a reçu une lettre de Fontainebleau !… J’écris immédiatement au maire de cet endroit, et il me répond qu’on ne connaît pas le moindre Duplantoir à Fontainebleau ! À cette nouvelle, j’avoue que j’eus de la peine à me contenir ; ma femme avait beau me dire : « Mais qu’est-ce que cela te fait ?… cela ne te regarde pas ! Comment ! un homme viendra s’installer dans ma rue, devant mes fenêtres, sous un nom supposé… et je n’aurai