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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

cœur serré d’être seule, de ne pas vous voir. Maintenant, c’est le soir et me voici dans ma chambre. Par la fenêtre, la lune met un rayonnement sur l’oreiller à côté du mien, l’oreiller où je voudrais tant voir votre tête adorée et j’y colle mes lèvres en pensant à vous.

Mon cher amour, je vous aime et je suis à vous, toute à vous, et je vous tends mes bras, mes lèvres et tout mon être en offrande d’amour.

Éternellement à vous,
Aline.

Monsieur Tessier lisait ces lignes ; il lisait et il se sentait étourdi, la tête lourde et les jambes molles comme un homme qui a bu.

Une femme avait écrit cela à un homme.

De nouveau, il regardait l’adresse sur l’enveloppe et il lisait son nom : Monsieur Adrien Tessier. Saint-Eustache. P. Q.

Certes, Adrien Tessier c’était bien son nom. C’était le nom sous lequel il avait été baptisé et qu’il avait toujours porté, mais la lettre évidemment n’était pas pour lui. Ces mots d’amour s’adressaient à un autre, un autre évidemment qui possédait le même nom que lui et qui n’était pas lui.

Quel était cet Adrien Tessier ? Certes, le marchand général connaissait la plupart des citadins en villégiature dans sa campagne, mais son homonyme lui était absolument inconnu. Après un dernier regard sur les feuilles couvertes d’une fine écriture, monsieur Tessier les remit dans l’enveloppe qu’il enfouit dans la poche intérieure de son veston. Il entra ensuite dans son magasin et, s’adressant à Georges, le commis chargé de livrer les ordres :

— Tu ne connais pas un Tessier de la ville qui passe l’été par ici ?