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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

deux pintes de lait par jour et lorsque chacun des enfants en a pris une tasse le matin et une tasse le soir, que Mme  Bézières en a mis un peu dans son thé et M. Bézières dans son café, il n’y en a guère pour le petit goret. Puis, les jeunes ont bon appétit et ils nettoient si bien leurs assiettes que l’eau de vaisselle ne vaut pas beaucoup mieux que celle de la rivière. Très raisonnablement, Mme  Bézières trouve qu’elle ne peut priver sa progéniture pour donner la nourriture au cochon.

Et le petit goret jeûne.

Il ne doit pas s’embêter cependant, car les six fils Bézières jouent constamment avec lui. Ils lui tirent la queue et les oreilles, le font courir sur la route sablonneuse. Et pour lui faire oublier ses privations vraisemblablement, Mme  Bézières le régale de morceaux de piano pendant les longues après-midis. Mais soit que Mme  Bézières ne soit pas bonne musicienne, que l’instrument sonne faux ou que le cochon ne soit pas mélomane, il délaisse souvent les alentours de la maisonnette et s’en va rôder chez les voisins, cherchant quelque chose à se mettre sous la dent. Les gens des environs n’ont pas tardé à lui donner un nom : Ti Quêteux.

Ti Quêteux que la faim tourmente a bien essayé de manger l’herbe du bord de la route, mais elle est si brûlée par le soleil, si couverte de poussière, qu’il y renonce. Alors, comme qui dort dîne, Ti Quêteux cherche à dormir. Il se couche dans le fossé tout près, ou sous la véranda de la maisonnette. Il ne peut dîner même en rêve cependant, car ses amis, les jeunes Bézières, accourent à lui dès qu’ils le voient reposer, et le forcent à trotter, à courir. À ce régime, Ti Quêteux dépérit. Par contre, les enfants sont bien portants, engraissent. Mme  Bézières trouve que le