Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Justement alarmée de ce mal étrange, sa mère le conduisit chez des médecins, mais les hommes de l’art ne purent rien découvrir et la renvoyèrent avec des paroles vagues.

À l’école, ses maîtres et ses camarades le crurent un peu détraqué.

À dix ans, il ne souriait même plus. Au cours de ses études, des explications des professeurs, pendant la prière ou la récréation, alors que les autres ne s’apercevaient de rien, ne soupçonnaient rien, ses regards devenaient un instant hagards et il entendait un long, long bourdonnement qui le tenait quelques secondes cloué sur place, en proie à des affres mortelles.

En vieillissant, il se développait comme une plante chétive, à bout de sève.

De jour en jour, l’obsession devenait plus fréquente, la sensation plus douloureuse et plus aiguë. Le malheureux passait par des crises terribles. Certaines nuits, il restait étendu sur son lit sans fermer l’œil, les nerfs effroyablement crispés, dans une attente crucifiante. Les ténèbres augmentaient encore son supplice et la fatigue ajoutant à cette tension extrême, son intelligence vacillait, paraissait sombrer dans la folie.

Son imagination en délire lui montrait une grosse mouche verte, luisant dans l’obscurité ; son vol lourd planait dans la chambre. Elle grossissait, prenait les proportions d’un colossal papillon, d’une chauve-souris. Elle devenait un animal monstrueux et fantastique. Après s’être repue à toutes les charognes, après avoir sucé tous les poisons et toutes les corruptions, la mouche, s’abattait sur lui, elle pénétrait en lui. Il la sentait marcher sous son crâne ; elle en faisait le tour à pas précipités, comme une