CAUCHEMAR
PRÈS avoir vendu sa terre au syndicat du canal de
Beauhamois, Florian Desmoy s’en était allé vivre au
village. Il avait reçu pour sa ferme une petite fortune
de trente-cinq mille piastres qu’il avait mise dans des
placements de tout repos. C’était un rude gaillard avec
une abondante chevelure noire, un homme puissant, solide,
pesant deux cents livres et habitué aux durs travaux des
champs. Il était célibataire. Une tante, sœur de sa mère,
habitait avec lui et avait charge de sa maison. Plusieurs
de ses anciens voisins dont les fermes avaient aussi été
expropriées et qui avaient aussi reçu la forte somme étaient
également devenus rentiers. Ils se rencontraient presque
chaque jour et causaient longuement, en fumant la pipe,
des travaux qui avaient transformé la région et des menus
détails de leur existence calme et monotone.
Parfois, Florian Desmoy entrait s’acheter un cigare à un petit restaurant tenu par une jeune veuve, Mme Rousteau. C’était une personne avenante qui avait un joli sourire et un mot aimable pour les clients. Son mari, boulanger, avait été tué dans un accident d’automobile. Elle avait obtenu deux mille piastres de dommages mais l’avocat en avait pris cinq cents pour sa part. Avec son argent, elle