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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

tache rouge de la bouche. L’homme se tait pendant quelques secondes. Doucement, de deux doigts posés sous le menton, il relève la figure penchée et la regarde silencieusement dans ses grands yeux noirs y cherchant une réponse que ses lèvres refusent de donner. La main se retire et la tête retombe, s’abaisse.

De nouveau, l’homme parle. Il voudrait apporter la conviction. Il puise au fond de son être des mots qu’il offre à la jeune femme. Le front toujours incliné, elle reste silencieuse. Parfois, elle jette un faible monosyllabe ou elle fait non, d’un petit geste de la tête.

Deux fois encore, d’une main délicate, ornée d’un étrange anneau d’or, l’homme relève le masque incliné de la femme, la regarde au fond d’elle-même comme pour faire entrer dans son cœur le sentiment qui l’anime. Mais sitôt que la main se retire, la tête s’affaisse comme une fleur fanée.

Toujours à mi-voix dans la salle pleine d’ombre, l’homme prononce des paroles qu’il voudrait persuasives. Un faible geste répond non. Pendant un moment, le silence pèse encore plus lourdement dans la pièce. Il pèse sur cet homme et sur cette femme assis face à face et dont un seul mot, un geste, pourrait changer la destinée. L’homme sort une allumette de sa poche, l’allume et, de sa main ornée d’un large anneau d’or, à figure de sphinx, la tient devant la figure penchée, l’éclaire pour la mieux voir. Il la regarde jusqu’à ce que le feu lui brûle les doigts, que la flamme s’éteigne…

Sa figure est anxieuse, douloureuse. Sa bouche prononce encore deux mots : dernière demande, suprême prière. Lentement, la tête baissée fait non. Alors, l’homme se lève, prend son chapeau qu’il avait