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LE BON SAMARITAIN



PAR un jour gris de décembre, l’homme enveloppé d’une vieille pelure et la mine déjetée déambulait sans but apparent le long du parc Lafontaine. Son vêtement déformé, usé par un précédent propriétaire qui l’avait mis au rebut, était trop large pour lui et lui donnait une apparence pitoyable. Une barbe de trois jours achevait de lui prêter cet air des épaves humaines qui errent dans les rues des cités.

Soudain, l’homme se baissa et sa longue main bleuie, d’un geste vif comme le coup de bec d’une poule qui saisit un ver, ramassa un bout de cigarette sur le pavé poussiéreux et l’enfouit dans sa poche de paletot.

— Hé, l’ami, si tu veux une cigarette, je vas t’en donner une, fit une voix.

Et le vagabond tournant la tête vit un particulier à la figure bonasse marchant trois pas en arrière de lui. Sans attendre de réponse, l’étranger tendit une boite aux trois quarts remplie.

— C’est pas de refus, fit l’autre, se servant. Ce n’est pas tous les jours que je fume une cigarette neuve.

Et tout de suite familier : Tiens, allume fit l’autre, en lui tendant une allumette enflammée.