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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Vous arrivez bien à bonne heure, dit-elle à l’homme en ouvrant la porte. Vous êtes plus d’une heure en avance sur votre temps.

Deval sentit toute l’hypocrisie de cette remarque.

— Oh, je peux attendre un peu, répondit le cocher bonasse et complaisant.

Mais après un rapide coup d’œil sur cette maison, ce jardin qu’il ne reverrait plus, Deval jeta un bref bonjour, monta dans la voiture, se laissa tomber sur le siège et ne se retourna même pas pour revoir Louise debout à côté du chemin.

Et le taxi s’éloigna.

L’auto suivait une route de sable, déserte, entre des champs où des fermiers aidés de leur femme et de leurs enfants charroyaient leur récolte de sarrazin. Il y avait aussi de tristes chaumes et des pâturages dans lesquels paissaient quelques maigres vaches. Un peu plus loin, c’était les montagnes couvertes de leur feuillage d’automne. Deval contemplait le paysage avec une tristesse sans cesse grandissante. La maison où il avait vécu un jour de sa vie, le jardin où il s’était promené, le pauvre cimetière dans lequel il était entré, la femme aux côtés de laquelle il avait dormi la nuit dernière, il avait la certitude qu’il ne les reverrait plus. Et ces champs qui s’étendaient des deux côtés de la route, chose du passé également pour lui. À un moment, le taxi croisa un boghei sur le chemin sablonneux. Deval jeta un coup d’œil distrait sur cette voiture. Il eut un sursaut de surprise, en voyant un homme en chandail bleu et en culottes de golf.

— Tiens, le coq qui a laissé son travail pour aller retrouver sa poule, se dit-il à lui-même.

Subitement, il se trouva à la gare. Il avait encore