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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

fois-là pour être sa femme. Comme nous arrivions à la maison, il a dit à sa mère : « Descendez, nous autres, on va continuer ». Et il m’a glissé à l’oreille : « Louise, je vais t’essayer. Par ici, tu sais, on les essaye toujours avant de se marier ».

Je lui ai répondu : « Non, Prosper, tu ne m’essayeras pas. » Nous sommes descendus et là, devant ses parents, je lui ai dit qu’il devrait peser ses paroles par la suite en parlant de moi, autrement que sa petite terre y passerait. Je disais cela pour lui faire peur, parce qu’en route, il s’était vanté d’avoir eu plusieurs filles de la paroisse. Je ne voulais pas qu’il dise la même chose de moi. Il ne m’en a pas voulu cependant de lui avoir parlé ainsi. C’est un bon parti. Mais je ne pourrais me décider à aller vivre dans le fond du rang où il habite, dans les terres où il a sa ferme. Si nous devions vivre au village, dans ma maison, ce serait différent. Mais non, jamais je ne marierai un homme plus jeune que moi.

Deval marchait à côté d’elle pendant qu’elle lui narrait cette histoire. Elle lui en avait raconté bien d’autres au cours des années qu’ils s’étaient connus. Un jour qu’ils étaient au lit, leurs têtes à côté l’une de l’autre sur l’oreiller et leurs jambes mêlées, elle lui avait déclaré :

— C’est toi que j’aime, mais c’est un autre homme que je désire.

Et elle l’avait abandonné à quelques jours de là pour se donner au gros constable qu’appelait son sexe. Mais cinq mois plus tard, elle était revenue à lui. C’était ainsi. Mais cette nouvelle aventure le déroutait. Elle, une citadine, une fille de quarante ans qui avait vécu toute sa vie dans les grandes villes, qui considérait sérieusement la proposition d’épouser un campagnard, comme si ces mariages--