Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Ils retournèrent à la maison.

Après le souper à deux, ils allèrent s’asseoir sur d’énormes sièges rustiques sur la véranda. Des tiges de houblon plantées devant la demeure les dérobaient à la vue des rares passants.

Mince, maigre et sèche, sans âge, une femme passa, conduisant une petite voiture traînée par un chien.

— C’est la folle du village, dit Louise.

L’air était infiniment calme, le silence apaisant. Devant soi, la silhouette des montagnes colorées par l’automne.

De l’autre côté de la rue, à cent pas environ, était une étable ouverte et, dans la paix du soir, l’on entendait tomber dans une chaudière en ferblanc les jets de lait d’une vache qu’une femme était en train de traire. C’était comme si on la voyait tirer sur les pis et qu’on aurait vu pisser le lait.

— Allons faire un tour sur la route, suggéra Louise.

Ils partirent, se rendirent au bout de la rue, tournèrent, traversèrent un pont couvert, en bois, et prirent un chemin sablonneux. Au bout de deux minutes, ils se trouvèrent dans la campagne. L’obscurité était venue et les deux promeneurs laissèrent en arrière les fenêtres éclairées des maisons du village.

Louise se taisait depuis un moment.

— Si je voulais, je pourrais me marier ici, commença-t-elle soudain.

Il resta surpris, le cœur serré, mais ne dit rien, attendant la suite.

— C’est un cultivateur à l’aise, un cultivateur riche, Prosper Deschamps. Il a huit ans de moins que moi. C’est le meilleur parti de la paroisse. On l’appelle le coq du village. La grande Françoise Michaud, la sœur du