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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Il se fit un long silence.

— Maintenant, si tu veux, nous allons aller voir le cimetière et le village en même temps.

Lentement, ils allaient dans la calme rue déserte.

— Nous ne voyons personne, mais crois-moi, les gens nous voient eux, dit-elle, et ce soir tout Chamberry dira : Mlle  Lepert a de la visite. Tu peux être certain que le village a vu passer Lacoste avec son taxi et l’on a voulu savoir où il allait.

Ils avaient laissé les dernières maisons et étaient maintenant dans la campagne, entre les champs dénudés. Le seul bruit qu’ils entendaient était la note monotone des criquets qui semblaient être une multitude innombrable. Une haute croix noire se dressait non loin de la route. Louise poussa la barrière et ils entrèrent dans l’enclos funèbre, tout rempli de hautes verges d’or d’un jaune éclatant et de grands framboisiers.

— Je suis venue ici cet été avec Mme  Lebel et Mme  Bezeau, dit Louise. J’ai mangé des framboises et j’en ai cueilli une boîte. Très bonnes, délicieuses, mais mes compagnes me regardaient faire avec dégoût.

— Vous mangez des morts, de la charogne, disait Mme  Lebel. Pour rien au monde, je voudrais seulement y goûter à vos framboises.

Ils se mirent à lire les inscriptions sur les monuments funéraires, planches en bois d’un modèle presqu’uniforme, ornées d’une photographie, ou croix en fer avec une plaque au centre pour le nom du mort. L’orthographe des inscriptions était fantaisiste et dénotait l’œuvre d’un illettré.

Ils lisaient :