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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Rassasiés, repus, les hommes étaient sortis de la salle à manger. Ils passèrent dans la chambre mortuaire et se groupèrent autour du cercueil. Froidement, ils contemplaient la figure du vieux qui avait toujours son sourire sardonique. À ce moment, Ernest s’amena avec un nouveau flacon. Les verres se remplirent.

— C’est triste de penser qu’on est là à manger et à boire, tandis que l’pére, lui, il peut pas prendre ane goutte ni ane bouchée, fit Pilonne.

Sur les entrefaites, le corbillard arriva du village conduit par Michel Linton. Alors, le corps du vieux Baptiste Verrouche fut placé dans le chariot funèbre et le cortège se mit en route pour l’église. Mathildé compta quarante-deux voitures. Entre les champs, les vergers, les prairies, la procession s’en allait d’un pas lent, passant devant des maisons où le père avait souvent arrêté pour acheter une taure ou un veau.

Antoine Le Rouge, sa femme et son fils se trouvaient en avant de Médée Corbeau qui avait comme compagnon Urgèle Doutier, son voisin.

— C’est saprement ennuyant, le cheval de Médée a tout l’temps la tête su nous autes, fit d’un ton irrité la Antoine Le Rouge à son homme.

En effet, l’animal suivait de tellement près la voiture devant lui que sa tête qu’il balançait à chaque pas, frôlait à tout instant le siège d’arrière d’Antoine Le Rouge où étaient sa femme et son fils.

— Cet animal-là bave tout l’temps su mon manteau de soie et il va le salir, ajouta la femme.

— Ton cheval va monter dans mon boghei. R’quiens-le ! Tire un peu en arrière, ordonna Antoine le Rouge à Corbeau.