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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Vers les sept heures, Rose alla appeler les hommes pour le déjeuner. Mathildé, femme de Zéphirin, et Malvina, épouse de Napoléon, apportaient les provisions sur la table. C’était deux grandes bringues, l’une blonde fadasse et l’autre brune avec une légère moustache. Dans la cuisine, Philomène, compagne de Télesphore, veillait devant le fourneau. Rose allait et venait de la cuisine à la salle à manger. Angèle Bézières, vieille fille toute courte, couverte de bijoux en or : chaîne avec pendeloque, boucles d’oreilles, montre, bracelet et trois bagues, était perchée sur une chaise. Elle était si courte que ses pieds chaussés de bottines de prunelle pendaient, ne touchant pas le plancher. Assises dans la pièce, se trouvaient aussi la Antoine Le Rouge, cinquante ans, avec un goitre énorme, Caroline Bercer, belle et grande brune, femme du fromager, Valentine Houle, grosse blonde ragoûtante, mère de trois enfants, dont un de deux mois qu’elle avait amené avec elle. Assise sur une berceuse basse, elle le faisait téter. Quelques minutes auparavant, elle l’avait nettoyé et avait déposé à côté de sa chaise la couche souillée. Et toutes ces femmes causaient maladies.

— Les hommes vont manger d’abord et nous déjeunerons ensuite, avait déclaré Mathildé qui, pour le moment, était en charge de la maison.

À l’appel de Rose, les fils du défunt et les visiteurs entrèrent les uns après les autres dans la salle et se placèrent à table. Ils avaient bu toute la soirée et toute la nuit et étaient à moitié ivres. Quelques-uns passèrent dans la cuisine, histoire de causer un moment avec les femmes. Claude Barsolais, vieux garçon de quarante ans, qui courait après tous les jupons, aperçut la grosse Valentine donnant le sein à son bébé. Il avait absorbé une douzaine de