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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

roue de fortune et, sous la remise, le petit fils troussait la servante de la taverne.

La roue tournait. Et de temps à autre, Ernest apportait un nouveau flacon puis, quand chacun avait bu, le repoussait dans un coin, à côté des autres vidés cette nuit. Et Rose distribuait des sandwiches.

La figure crispée, l’expression dure, planchette en main, les joueurs regardaient la roue, instrument du sort, qui tournait avec un bruit de crécelles, et guettaient leur numéro.

Puis, l’on entendit chanter un coq. Une vache meugla longuement. Un jour gris entra par la fenêtre dans la chambre enfumée. L’on cessa de jouer. Sur le cercueil il y avait une poignée de monnaie. Cette nuit, en attendant de s’en aller en terre, le père avait gagné huit piastres et demie. De tous les joueurs, il était celui qui prenait le plus fort montant.

— Oui, le pére a toujours été chanceux, déclara Hector Mouton. J’crains pas pour lui. J’vous dis que saint Pierre a pas de chance de l’arrêter à la porte. Sûr et certain, Baptiste Verrouche va passer. Maintenant, savez-vous ce qu’il va faire le pére avant de s’en aller ? Non, eh ben, il va payer la traite à ses parents avant qu’ils lui disent adieu. On va acheter un beau gros flacon de gin, comme il faisait quand il avait gagné ane course ou ane gageure, pis on le boira avant de se séparer, avant de sortir du cimetière. C’est comme ça qu’il aurait aimé qu’on fasse, le pére.

— Torrieu, Hector, il y a que toé pour avoir de bonnes idées comme ça, approuva Zéphirin, le fils aîné, en caressant sa barbiche noire.