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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Vous, m’sieu Pilonne, vous êtes en retard. On va vous servir un bon coup, déclara Ernest. Et prenant un verre à bière, il le remplit de gin jusqu’au bord et le présenta au nouveau venu.

— Maudit ! J’voudrais qu’il y en ait tous les jours un enterrement pour être traité comme ça. Pis, ça va être bon pour le rhume, répondit Pilonne en prenant une large gorgée.

Puis, il se remit à tousser comme un cheval qui a la gourme, arrosant de nouveau ses voisins de grains de salive.

— Pis dire que nous autes, on est là à boire, pis que l’pére, lui, ça fait plus de deux jours qu’il n’a pas pris ane goutte. Ah ! maudit ! c’est ben triste de mourir, déclara Mouton.

Puis soudain, se tournant vers l’homme au gros cigare :

— T’aurais pas ta roue par hasard ?

— Ben certain. De Joliette je sus v’nu drette ici avec mes agrès. Elle est dans ma voiture.

— Ben, sors là c’te roue. On va jouer un peu, hein ?

Alors le gros Pilonne sortit et revint l’instant d’après avec sa roue et ses accessoires. Il la plaça sur une chaise dans un coin. Ensuite, il étendit son mouchoir sur le cadre de la fenêtre tout près et y déposa son haut de forme qui était sa caisse habituelle. Fouillant ensuite dans ses poches, il en retira des poignées de monnaie qu’il jeta dans le fond du chapeau.

— Dix cents la palette, annonça-t-il.

Des mains se tendirent. Les petites planchettes portant des numéros furent vite distribuées. Puis, Pilonne imprima un mouvement rotatif à sa roue qui se mit à tourner à grande vitesse puis ralentit progressivement. L’on entendait seulement le bruit de la languette de cuir heur-