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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Maintenant, ajoute le pére, pour pas avoir de dispute après, on dépose not argent.

— Ben sûr, concède le yankee. D’ailleurs, avec moi, il n’y a jamais de dispute.

Alors, tous deux, ils comptent vingt-cinq piasses et ils donnent l’argent à Tit Noir Bélanger, l’hôtelier.

À onze heures, le pére était là avec Mohican et sa p’tite sleigh rouge. L’américain avait dit à Jérémie d’atteler son noir aux quatre pieds blancs. Ben, les v’là qui sortent de la cour et les deux chevaux prennent le trot. Mais, tout d’suite, l’américain entend : ploc, ploc, ploc, comme de l’eau qui aurait ballotté dans un baril à moitié plein. Il écoute encore : ploc, ploc, ploc. Pis, le v’là qui se met à sacrer comme j’en ai pas entendu souvent. Ça aurait pris un bon canayen pour l’accoter. Vous imaginez, après avoir mangé son avoine salée, le cheval avait bu deux grands siaux d’eau. Il était incapable de trotter. Il était battu d’avance. Mon yankee comprenait qu’il avait été roulé par un fin renard. Alors, il revire tout d’suite et il s’en retourne à l’hôtel. J’sais ben qu’il était en sacre, mais il a pas voulu rien dire, parce qu’il voulait faire des affaires. Il voulait acheter des chevaux et il ne pouvait dire aux gens qu’ils étaient des coquins. Il a fait dételer, il n’a pas donné un mauvais dix cents à Jérémie. Mais après s’être fait remettre les cinquante piasses par Tit Noir Bélanger, le pére a glissé un écu à Jérémie. Il l’avait ben gagné. Ah, ils s’entendaient ben ces deux-là !

Les pipes s’étaient allumées et la chambre mortuaire était remplie d’une épaisse fumée.

— Oui, le pére et Jérémie, ils s’accordaient ben ensemble, fit à son tour Siméon Rabottez, un des anciens de la paroisse. Je m’rappelle c’gas de Sorel qui était v’nu icite