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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

tout drette à l’écurie. Oui, le pére il aimait ben ça à prendre un verre, mais c’était pas dans l’hôtel qu’il entrait tout d’abord, c’était dans l’écurie. Il voulait voir les chevaux, se rendre compte. Pis, après qu’il avait vu, il parlait. Et il jouait son jeu. Donc, juste en arrivant à l’écurie, il tombe sur Jérémie Leblanc, l’homme de cour, qui était en train de donner à ses pensionnaires leur portion d’avoine.

— Bonjour, m’sieu Verrouche, qu’il fait. Vous arrivez ; à temps. Vous allez voir ane belle p’tite bête. Car il connaissait ça aussi les chevaux, Jérémie. Regardez-moé ça, qu’il ajoute, et il lui montre dans ane stalle le cheval de l’américain.

Le pére regarde : un noir avec une barre blanche en haut des sabots, juste comme des poignets de chemise blanche au bout d’ane manche d’habit noir.

— Il vient pas d’Malone, ton homme ? qu’il demande le pére Verrouche.

— J’cré ben que c’est ça, répond Jérémie.

Pendant deux minutes, le pére regarde encore l’animal de tous les côtés. Il dit rien, mais sans l’avoir vu auparavant, il le connaissait ce cheval-là. Le noir aux quatre pieds blancs, il en avait entendu parler. À peu près le meilleur dans les 2.20 dans la région de Malone. Pis, comme Jérémie était planté là à côté de lui avec sa terrine pour distribuer l’avoine, le pére lui fait un clin d’œil. Vous savez, le pére pis Jérémie ils se comprenaient vite. Pas besoin de ben des explications.

— Tu lui as donné sa portion ? demande le pére.

— Non, mais j’vas justement la lui porter.

— Si tu mettais ane poignée de sel dans son avoine, ça lui ferait pas d’mal ?