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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

son et que je le trouvais assis sur sa chaise, je lui disais : Remuez pas ! Et, je prenais son siège d’une main et je l’élevais au bout du bras. Il riait alors, Il était content. Il aimait ça un homme fort.

Et Mouton faisait le geste de prendre une chaise et de l’élever au-dessus de sa tête. Il avait enlevé son veston afin de montrer ses biceps énormes.

Mais le vétérinaire s’emballait à son tour.

— Il connaissait ça, lui un trotteur. Il allait chez un habitant pour acheter une taure ou un bœuf et, lorsque je le voyais le soir, il me disait : Tiens, Damase Legris a un poulain de deux ans qui promet. Faudra que je fasse des affaires avec lui avant que les américains le prennent. Oui, il connaissait ça les chevaux, pis il savait les conduire, pis il savait s’arranger pour gagner. J’me rappelle. J’avais quinze ans. Le pére avait été à Rawdon pour acheter un taureau et il m’avait amené avec lui. Il avait ane p’tite jument grise attelée à une barouche. Il la poussait pour voir ce qu’elle pouvait faire. Elle pourrait aller dans les 2.40 qu’il disait. Ben, il paraissait content. Pis, v’là qu’on aperçoit un p’tit boghei devant nous. Tiens, qu’il dit le pére, v’là Tit Toine St-Onge qui entraîne son poulain. Et il commande sa jument grise qui rejoint Tit Toine. Tout de suite, v’là ane course qui commence. Les deux chevaux trottaient côte à côte.

— On va jusqu’au village ? crie Tit Toine.

— Jusqu’à l’Hôtel du Peuple, répond le pére.

Alors, Tit Toine fouette sa bête et prend un peu les devants. Le pére le suivait ane longueur en arrière. Il faisait claquer son fouet, mais il touchait pas sa jument et il me regardait en souriant. Tit Toine cinglait son poulain